Tout commence par le rêve de deux jeunes hommes : celui de survoler le ciel et de découvrir de nouveaux horizons. Birame et Maodo, deux jeunes Sénégalais de 38 et 27 ans, font parler d’eux depuis bientôt deux ans pour leur ambitieux projet dénommé Flight Sen.
Courant 2019, on a vu lentement émerger des réseaux sociaux, des photos et vidéos retraçant le parcours du binôme, parti du Sénégal pour la France à bord d’un avion Piper P28-161 quatre places, tout en traversant cinq pays au total.
Rencontre.
Generation Sénégal : Pouvez-vous nous parler de vous ?
Birame : Je suis Birame Coulibaly. Après mon bac +5 Marketing, j’ai travaillé six ans en région parisienne avant de rentrer au Sénégal où j’ai rejoint un groupe belge. J’ai repris depuis peu l’entreprise familiale dans les transports logistiques.
Maodo : Je m’appelle Maodo Ndiaye. Je suis titulaire d’un Bac scientifique. J’ai suivi une formation de pilote privé pendant deux ans à l’aéroclub Iba Gueye. Je me suis ensuite rendu en Afrique du Sud où j’ai obtenu une licence de pilote commercial. J’ai travaillé pour Transair pendant un an avant de rejoindre Air Sénégal.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Birame : J’ai rencontré Maodo à l’aéroclub Iba Gueye en 2016 où j’étais allé m’inscrire pour passer la licence privée qui a duré sept mois. Maodo m’a convié à l’un de ses vols et notre amitié était née. Je me suis beaucoup reposé sur lui pendant ma formation, je lui demandais des conseils et il a su m’accompagner en jouant un rôle de mentor pour moi.
Qu’est-ce que Flight Sen ?
Birame et Maodo : Un jour, nous avons rencontré un pilote : un Français retraité qui nous a expliqué qu’il faisait le tour de plusieurs pays avec sa femme. Nous nous sommes décidés à faire pareil. L’idée paraissait saugrenue mais elle s’enracinait.
Après plusieurs recherches sur internet, notamment sur la faisabilité technique du projet, nous avons convenus de nous rendre en France en juin.
À qui appartient l’avion ?
Les avions appartiennent à l’aérogare mais depuis avril, nous avons le nôtre. C’est un rêve qui se réalise. Avec la crise du Covid-19, nous avons eu le temps de le retaper complètement.
Comment avez-vous collaboré avec les autorités et l’administration de l’aéroclub pour les autorisations ?
Nous avons dû demander des autorisations au Maroc et à la Mauritanie en écrivant des courriers à l’aviation civile de chaque pays, au moins un mois avant. Ce qu’on a trouvé un peu dommage, c’est que ces autorisations étaient nécessaires uniquement pour les pays Africains. Ceux Européens (l’Espagne et la France), ne nous ont rien demandé. Il nous suffisait d’être en règle au Sénégal et de faire partie de l’OACI (l’Organisation de l’aviation civile internationale).
Racontez-nous l’organisation de ce vol jusqu’en France…
Il y a plusieurs phases dont la préparation des visas avec les ambassades. Nous avons voyagé avec un photographe, un vidéaste et un ami qui nous assistait, soit trois personnes en plus. Ils prenaient des vols commerciaux et nous rejoignaient au Maroc, en Espagne et en France pour documenter le projet. Cela produit des coûts supplémentaires car il y a des frais d’hébergement et de restauration qui s’ajoutent. Mais sans ces personnes, nous n’aurions pas pu raconter l’histoire. Nous n’étions pas pris au sérieux et nous l’avons fait. Aujourd’hui, nous voulons aller encore plus loin.
Qu’est-ce qui explique selon vous, l’engouement derrière Flight Sen ?
C’était inhabituel comme démarche. Beaucoup de Sénégalais se sont identifiés à nous car en Afrique, on grandit en se mettant des barrières. En se disant que certaines choses sont hors de notre portée.
Il s’agissait de montrer aux jeunes qu’ils étaient capables de réaliser des projets fous. On leur a fait vivre cette aventure en direct. Nous avons fait appel à deux amis, un photographe et un vidéaste pour nous aider à médiatiser le projet. Car ç’aurait été dommage de parcourir tous ces kilomètres dans notre coin, sans que personne ne le sache.
En général, cela se fait plutôt dans l’autre sens, ce sont des activités réservées à des Occidentaux.
Pensez-vous que le succès aurait été le même si vous aviez décidé de faire ce tour du monde en 4×4 ?
Non, c’est en grande partie dû au fait que nous étions en avion et qu’on est relativement jeunes.
D’habitude, les tours du monde sont réalisés par des personnes d’un certain âge et expérimentées.
Comment le vol jusqu’à Lognes s’est déroulé ? Aviez-vous eu des frayeurs ?
Au début, quelques doutes subsistaient. D’habitude nous volons à l’intérieur du Sénégal : Ziguinchor, Cap Skirring, Kaolack, etc.
C’était la première fois d’aller aussi loin. On a eu quelques petits problèmes de météo qui nous ont d’ailleurs empêché de nous arrêter dans certaines villes au retour, dont Toulouse et Barcelone. Mais nous n’avons eu aucun problème technique car nous avions prévu un check de l’avion à mi-parcours. À Fès, notre mécanicien nous a rejoints.
L’équipe de la Mairie de Lognes nous a repérés sur les réseaux sociaux, ils ont vu que nous arrivions dans leur ville. Le projet leur a plu et ils nous ont proposé de nous accueillir.
Quel a été le budget de l’entreprise et comment l’avez-vous financé ?
Le budget du projet était de 25 000 euros. Nous étions d’abord partis pour un financement sur fonds propres car ce voyage, nous le faisions avant tout pour nous. Mais plus le projet grossissait et avec lui sa communication, avec l’aide de nos deux amis Thierno et Laye, plus il devenait logique de l’ouvrir à des collaborations.
On a mis en place un dossier de sponsoring qu’on a déposé dans certaines entreprises de la place. On a pu rassembler 60% du budget comme ça et nous avons complété les 40% restants.
Avec ou sans financements, nous étions décidés à vivre cette expérience aéronautique.
Quelle est la prochaine étape ?
En mars dernier, nous avons organisé une cérémonie officielle en présence du Ministère des Transports et de certaines Ambassades, telles que le Royaume-Uni, le Canada et les États-Unis. Nous avons dévoilé au public sénégalais, notre future destination à savoir New-York avec des étapes. Les démarches administratives sont en cours même si la pandémie du Covid-19 a considérablement affecté le projet avec une perte de financements estimée à 13 000 euros. Nous avions avancé des frais pour l’impression de brochures pour attirer de nouveaux sponsors, pour l’organisation de la cérémonie, certains coûts de passages et transit, etc. Tous ne sont pas remboursables en l’état.
Le voyage à New-York a été repoussé car celui-ci demande des accompagnements. Avec la crise économique qui prévaut, on en sait encore très peu sur les possibilités de financement.
Vous participez à l’initiative citoyenne de l’enseignant Mamadou Diakhaté pour la réfection bénévole des classes. Quel rapport avec Flight Sen ?
Au retour de notre voyage en France, il nous restait 3000 euros que nous voulions investir dans le secteur de l’éducation, plus précisément dans nos deux villes d’origine : Saint-Louis et Ziguinchor.
On voulait d’abord offrir des fournitures scolaires à des écoliers puis on a réalisé que certaines infrastructures pouvaient être améliorées. Nous avons vu sur les réseaux sociaux ce que la Team Nintche accomplissait et nous avons décidé de contribuer à hauteur de 1500 euros pour une intervention dans une école à Podor.
Désormais, 15% de ce qu’on reçoit comme aide financière va être réinjecté dans l’éducation. C’est un message aux Sénégalais, pour leur dire qu’on a fréquenté les mêmes bancs qu’eux, qu’on a cru en nos rêves et que c’est possible pour eux.