Sur la plage de Ngor, devenue un spot de surf pour les quelques centaines d’adeptes que compte ce sport à Dakar, la silhouette longiligne de Khadija – Kadjou pour les intimes – fait pour ainsi dire partie du paysage. Du haut de ses 25 ans, la jeune femme n’a déjà plus grand chose à envier aux surfeurs sénégalais les plus expérimentés de sa génération, dans un pays où la discipline commence à se populariser depuis une dizaine d’années.
La jeune surfeuse a même récemment franchi un cap, en faisant le tour des médias internationaux et nationaux pour son profil atypique : elle est devenue la première femme surfeuse professionnelle de son pays. Un parcours d’exception retracé (parmi d’autres) dans un documentaire qui vient de remporter le prix du Festival international de film Rincon à Puerto Rico.
Entretien avec une sportive qui veut faire bouger les lignes dans un sport encore très masculin…
Génération Sénégal : Bonjour Khadija, peux-tu me parler de toi ?
Khadija Sambè : oui je suis une Sénégalaise de 25 ans. Je suis surfeuse professionnelle et j’habite au Sénégal, à Ngor précisément.
Avec ma coach Rhonda Harper, j’ai lancé une école surf qui s’appelle Black Girls Surf dans le quartier de Yoff BCEAO. Nous enseignons la discipline à une trentaine de personnes.
Tu as commencé à surfer très tôt. Comment es-tu venue à pratiquer ce sport ?
Oui, j’ai commencé à surfer autour de mes 13 ans. Il faut dire que nous sommes une famille de surfeurs, mon oncle, mon frère, mon neveu pratiquent tous ce sport. Mais il était interdit aux filles. Je savais très bien nager et je voulais moi aussi apprendre. En cachette car mes parents n’auraient pas été d’accord et avec l’aide de quelques amis, je me suis rendue chez un concessionnaire de matériel qui avait une école de surf. Il m’a fait signer une décharge en échange de laquelle il me prêtait du matériel et me donnait mes premiers cours.
Pourquoi est-ce important pour toi que des filles soient présentes dans ce sport ?
Quand j’allais à la plage, je ne voyais aucune fille qui me ressemblait sur une planche de surf. Or il y avait des filles pour d’autres activités comme le handball, le football, que j’ai aussi pratiquées ponctuellement. C’est pour ça que je me suis lancée, pour une question de représentativité dans ce sport. J’ai convaincu une amie d’en faire avec moi mais elle a dû se marier et a quitté notre village. Moi j’ai persisté même sans moyens.
Aujourd’hui, on tend la main à d’autres jeunes à travers notre école à Yoff. On leur offre des cours gratuitement car ils n’auraient pas les moyens de se les payer. On a même commandé du matériel, des planches qui ont pris du retard en raison de la pandémie de la Covid-19.
Comment as-tu rencontré ta coach américaine Rhonda Harper ?
Elle a vu mes photos sur les réseaux sociaux. Elle cherchait des jeunes femmes noires à valoriser dans ce sport car même aux USA, c’est une discipline peu répandue au sein de la communauté noire. On a commencé à échanger puis elle m’a prise sous son aile. Elle me signalait des compétitions dans la sous-région pour que j’y participe.
Il faut lire la vague et connaître à la perfection le spot où l’on s’entraîne.
C’est grâce à elle que j’ai pu me rendre aux États-Unis où j’ai pu suivre une formation pour devenir surfeuse professionnelle et m’entraîner pour les jeux olympiques.
Tu évoquais précédemment des pesanteurs sociales qui empêchaient les filles de pratiquer ce type de sports, comment as-tu fait pour les contourner ?
J’ai tout simplement refusé de les écouter. Il est arrivé des fois où des amis de mes parents leur signalaient que j’étais à la plage et on me sortait littéralement de l’eau mais j’ai tenu bon. Les surfeurs masculins me disaient que je devais chercher à me marier et rester à la cuisine.
Comme ma famille désapprouvait cette activité, j’ai dû arrêter de surfer pendant près de deux ans. Mais la volonté de représenter le Sénégal dans ce sport était plus forte. J’ai commencé à travailler dans une école de surf et j’ai à nouveau discuté avec mes parents. Je leur ai dit : “c’est ce que je veux faire, pourquoi ne voulez-vous pas m’aider ?” Et j’ai fini par gagner leur approbation.
Tu diriges une école de surf au Sénégal. Cela veut-il dire qu’il commence à y avoir un certain engouement pour ce sport ?
Oui, la situation change lentement. Des jeunes filles me voient et se disent que c’est une trajectoire possible pour elles. Nous appelons d’ailleurs les parents des jeunes que l’on accompagne pour discuter avec eux. Il est important pour nous qu’ils soient au courant et que ces jeunes continuent leur éducation à l’école. Pour nos élèves qui ont des difficultés financières, il nous arrive de leur payer leur scolarité.
Décris-moi une de tes journées…
Lorsque je me réveille, je regarde d’abord s’il y a de bonnes vagues et la météo. Ma maison est à deux pas de la mer donc je peux vérifier rapidement son état. Si elle est calme, je débute un entraînement physique qui peut durer deux heures. Je me repose puis je déjeune. Ensuite je procède à quelques étirements et dans l’après-midi, si la situation des vagues s’est améliorée, on commence à surfer jusqu’au soir. Puis on se détend avec les collègues sur la plage et on dîne. Avant de me coucher, je regarde la télévision.
Qu’est-ce qui différencie une surfeuse occasionnelle d’une professionnelle ?
Il y a une grande différence entre les deux. La surfeuse occasionnelle le fait par plaisir et au gré de ses envies. La professionnelle veut et doit toujours s’améliorer. Elle doit faire preuve de discipline pour la maîtrise des techniques qui minimiseront les dangers dans l’eau. Il peut y avoir des vagues agressives. Il faut donc une vraie préparation et apprendre à contrôler sa respiration.
Qu’as-tu à dire à ceux et celles qui voudraient suivre ta voie ?
Je leur dirai de faire preuve de courage et de faire fi de tous les commentaires négatifs. Ils doivent rester concentrés sur leur objectif et écouter attentivement le coach.