Génération Sénégal

 

Lady Mariéme Jamme, dirigeante d’entreprise sénégalaise de 47 ans installée à Londres, est une voix qui porte dans le domaine de la technologie au Sénégal et en Afrique. Rencontre.

Pouvez-vous nous parler de vos débuts au Sénégal…

J’ai eu une enfance très tumultueuse et difficile. Je suis issue d’une famille aristocratique du Sénégal. J’ai grandi dans un village de Kaolack. Je n’ai pas fait d’études comme mes compatriotes, dans des grandes écoles et universités.

J’ai beaucoup bougé de pays en pays. J’en parle dans mon futur livre.

De mes 5 ans à mes 22 ans, je me rappelle avoir eu une jeunesse très difficile. 

Je suis finalement arrivé en Angleterre où j’ai commencé à travailler en tant que femme de ménage. J’apprenais l’anglais et à coder en même temps. J’en ai fait mon métier par la suite.

Aujourd’hui, j’ai 47 ans et je suis restée en Angleterre où je me suis établie avec mon fils qui a 20 ans. 

Quel a été le déclic pour votre intérêt pour le numérique et l’informatique  ?

Je ne parvenais pas à trouver de travail parce mon parcours éducatif était inexistant. 

On me proposait des emplois comme du babysitting, ou encore chez McDonald’s.

Je travaillais dans un hôtel où je faisais 80 lits par jour. 

Et tous les jours j’allais à la librairie pour apprendre l’anglais. Google n’existait pas, j’utilisais le logiciel Excel que j’aimais beaucoup. J’avais une très bonne mémoire photographique. J’étais vive. Je me suis intéressée aux symboles et j’ai commencé à les mémoriser.

Plus tard, Google est né, avec une plateforme de blogging. Je me suis donc mise à écrire. C’est ainsi que j’ai d’abord été repérée par The Guardian qui m’a interviewée et proposé une collaboration.

La passion du coding est venue du blogging, en écrivant sur la plateforme, je voyais le code-source qui m’a intriguée. Je me suis lancée et j’ai appris sept langages de codage en deux ans. J’ai eu mon premier travail chez Oracle en tant que vendeuse de logiciels. J’y vendais des solutions de codage et de software à des entreprises. J’ai aussi appris le hardware.

Vous avez fondé votre société, devenue Accur8 Globals, pour aider des fabricants de logiciels à s’implanter dans le monde. Comment avez-vous réussi à vous imposer dans un milieu particulièrement masculin et blanc ?

Oui, la société a été récemment rebrandée car je l’ai lancée il y a 18 ans. Avec la Covid-19, on en a profité pour opérer une légère restructuration. Il y  a une demande massive sur les sujets de sécurité, de compétences digitales, d’intelligence artificielle. 

C’est un choix de positionnement que j’ai fait car il n’y a pas beaucoup d’Africaines sur les questions de hardware/software.

Pour s’imposer il n’y a pas de secret, il faut travailler dur.

Je me réveille à 5h du matin tous les jours. J’ai une routine très stricte. Il est par ailleurs primordial de s’engager pour le continent, de se sentir concerné et d’avoir une stratégie.

Pourquoi la thématique des réfugiés vous intéresse particulièrement ?

Je me suis intéressée tôt aux phénomènes d’inclusion, notamment pour des couches féminines défavorisées comme cela a été mon cas. C’est lors d’un voyage au Kenya, que j’ai pu visiter des camps de réfugiés. Ce sont des Africains comme moi et j’étais étonnée de voir 200 000 personnes vivre dans de très difficiles conditions dans ces camps, et qui malgré tout continuaient à avoir de l’espoir. 

Je me suis sentie concernée car à ce moment-là, personne ne se mettait en avant pour ces personnes. Mais je ne voulais pas reproduire le modèle du White Savior, moi la dame qui vit à Londres, venir donner des leçons. J’ai donc décidé d’aider autrement : d’abord outiller ces jeunes, les filles notamment, ensuite leur fournir des espaces sûrs de prise de parole.  

Je suis la première femme à apprendre aux jeunes filles réfugiées à coder.

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                        Vous êtes également une grande défenseure de la technologie “éthique”. Qu’est-ce que cela signifie ?

Oui parce qu’ il ne faut pas seulement développer des solutions pour faire de l’argent mais pour avoir un impact. C’est vrai qu’il y a du capitalisme derrière Facebook, Amazon, mais ce sont aussi des entreprises utiles. La justice sociale doit être ce qui nous anime dans la création de nos solutions. Il est incontournable que les jeunes Africains écrivent leur propre histoire, sinon d’autres le feront à notre place. On a aussi besoin que nos jeunes montent en compétences sur des filières moins littéraires et plus scientifiques.

Lorsqu’on développe des solutions pour l’Afrique, les africains doivent y prendre part.

Vous êtes à l’origine du Jjiguene Tech Hub, un réseau qui aide les jeunes Sénégalaises à étudier les sciences, la technologie. 
Quelles sont les activités de cette structure et en quoi diffère-t-elle de iamtheCODE, qui organise aussi des formations pour outiller les filles en matière de technologies de l’information ?

Les deux initiatives sont très différentes. 

IamtheCODE est une fondation de charité à vision holistique, alignée avec l’agenda des Nations Unies. Elle a pour mission d’apprendre à 1 million de jeunes filles marginalisées à coder d’ici 2030. Nous produisons des contenus pour ces jeunes filles qui sont rassemblés dans sept programmes qui composent iamtheCODE : les hackathons, les digital clubs, les Wellbeing Clubs, les podcasts, les programmes de mentorat, les Objectifs de développement durable et iamtheFOOD. 

On s’intéresse beaucoup au bien-être de nos membres : un esprit sain dans un corps sain.

Quant à Jigeen tech hub, je l’ai créé après avoir constaté qu’au Sénégal, il n’y avait aucun réseau “Women in tech”. C’est donc pour donner une opportunité aux jeunes filles et femmes de s’intéresser au codage, comme cela se fait ailleurs en Afrique. J’ai fait mon devoir, aujourd’hui les jeunes femmes que j’ai soutenu ont pris le relais. Je suis une pionnière.

Il reste 9 ans avant 2030, pensez-vous que l’objectif d’IamtheCODE sera atteint ?

Oui et il sera même dépassé grâce à tous ces réseaux de formation que nous déployons et une bonne méthodologie. 

Le Sénégal se positionne de plus en plus comme un hub technologique dans la sous-région. Comment pensez-vous que le pays peut consolider son virage technologique  ?

Je ne dirais pas que c’est encore un hub technologique parce qu’on co-crée, on copie et on adapte plus qu’on ne créé nous-mêmes, avec des idées originales. Mais on a tout le potentiel nécessaire pour y arriver. Il y a beaucoup de choses à faire. Le premier pas est la création d’un écosystème uni, en ce moment il est fragmenté. Ensuite il faut miser sur l’incubation et le mentorat stratégique. 

Vous êtes à cheval sur plusieurs projets, comment parvenez-vous à concilier vos activités et votre vie de famille ? Décrivez-nous une journée typique.

Lorsque je me réveille, je commence par la méditation, puis je vais à la salle de gym. Je vais marcher et m’aérer car avec tous les traumatismes que j’ai subis, j’ai besoin de temps pour pardonner. Je m’approprie et embrasse mon identité. Je me suis fixée un objectif et je reste concentrée. Je me pose quatre questions au réveil : qu’est-ce que j’aime faire ? Est-ce que le monde a besoin de IamtheCODE, de technologie éthique ? En quoi suis-je douée, quelles sont mes compétences ? Et est-ce que je peux être payée pour ça parce que je dois bien vivre ? Je combine ces quatre questions et avant de me coucher, je tente d’éduquer, de transformer et d’informer les gens avec lesquelles je suis en contact. 

Quels sont vos projets futurs et étapes suivantes ?

Je suis en train de rédiger mon livre qui devrait paraître d’ici la fin d’année pour parler de ma vie, de ma relation difficile avec le Sénégal, avec mes proches, mon histoire.  Ensuite je suis très focalisée sur le lancement de de Accur8 Global et les classes  « LifeHacks ».