Génération Sénégal

 

Aminata Thior est une jeune Sénégalaise dans la trentaine, évoluant dans le secteur de la beauté et des cosmétiques en Afrique. Pendant cet entretien, elle revient sur le cadre qui a conduit à la création du media Setalmaa qu’elle a fondé en 2017, et les défis rencontrés.

Pouvez-vous me parler de vous ? 

Je suis journaliste et fondatrice de Setalmaa, un média spécialisé dans le domaine de la beauté et des cosmétiques en Afrique francophone. Je suis ingénieur télécoms de formation, diplômée de l’Insa de Lyon. J’ai exercé pendant six ans dans le domaine de l’informatique télécommunications mais je n’étais pas très heureuse. J’avais l’impression d’être dans une boîte, de ne pas pouvoir respirer. Ce qui me faisait réellement rêver, c’était le journalisme. Je voulais m’échapper des tours de la Défense (à Paris, ndlr) pour aller au contact du monde, leur poser des questions sur les sujets qui m’intéressent à savoir la politique, la culture, l’entrepreneuriat. Je me suis donc reconvertie dans le journalisme. 

Comment la création de Setalmaa media s’est-elle imposée à vous ? 

C’est le hasard qui m’a conduit dans le business de la beauté et des cosmétiques en Afrique. Je voulais initialement lancer un média qui traitait d’économie, mais on m’a conseillé de choisir un secteur car l’économie, c’est vaste. Je pourrai agrandir le spectre d’intervention du média plus tard. Les recherches que j’ai faites m’ont mené au secteur de la beauté. 

Il y avait du potentiel, c’était la période du phénomène Kim Kardashian, des techniques de maquillage sur youtube et l’accès à Internet, au mobile, s’était simplifié en Afrique. Les femmes voulaient avoir les derniers produits du marché et elles ne trouvaient pas d’informations qualifiées. Vu l’engouement, je me suis lancée. 

Vous avez donc lancé la plateforme Setalmaa, que signifie ce terme ? 

En wolof, ça veut dire : cherche pour moi , trouve pour moi

Le média est officiellement né le 17 juin 2017 mais avant lui, j’avais créé un fil Whatssap où les gens venaient me poser leurs questions pratiques. Je m’étais dit que quand deux, trois, cinq mille personnes viendraient me demander des informations, cela créerait des données que je pourrais retravailler et vendre aux marques de cosmétiques, en leur disant voici le besoin des femmes d’Afrique. 

Le groupe a bien fonctionné, des gens nous sollicitaient pour nous demander où ils pouvaient trouver tel produit, comment distinguer la contrefaçon de l’original, etc. 

C’est donc un secteur porteur…

Oui, j’ai découvert des femmes qui étaient maquilleuses professionnelles à la télévision ou au cinéma, qui gagnaient en une journée, le salaire d’un.e ingénieur, soit près de 4000 euros/jour.

Je me suis demandée pourquoi on ne parlait jamais de ces femmes ou de ces métiers alors qu’ils génèrent des emplois et des chiffres d’affaires conséquents. J’ai voulu raconter leur histoire à travers mon média. On a fait une série de vidéos d’entrepreneurs sur l’Afrique qui a été très bien accueillie. 

Comment expliquer ce manque de visibilité pour un secteur aussi important ?

Ce sont des métiers souvent dévalorisés. Il y a un problème de perception car en général, c’est de l’informel et réservé aux personnes en échec scolaire. Mes parents, par exemple, ont eu beaucoup de mal à comprendre que je quitte un métier d’ingénieur pour me lancer dans le domaine de la beauté. Or on constate que beaucoup d’entrepreneurs actuels viennent d’autres secteurs : banques, médecine, finances, etc. Ils se sont reconvertis pour créer des salons de coiffure, des chaînes d’onglerie, etc. 

 

 

Ça me révolte car je me dis, voici un secteur qui pourrait avoir un impact sur le développement des pays mais ignoré et négligé à cause des clichés. 

Sur le site de Setalmaa,  vous illustrez quelques-uns de vos articles avec des photos de blogueuses beauté africaines. Comment celles-ci vous aident dans votre entreprise ? 

Elles apportent un rôle essentiel dans l’écosystème de la beauté en Afrique. Elles créent des contenus originaux et fédèrent ainsi autour d’elles, des milliers de jeunes femmes africaines du continent et de la diaspora.

Par ailleurs, je suis très dure avec certaines de ces blogueuses-là.  Je leur reproche un manque d’engagement. Le fait qu’elles n’assument pas ce rôle de blogueuses à temps plein ou même l’impact qu’elles peuvent avoir sur certains sujets aujourd’hui, me chiffonne. 

Je n’en connais aucune sur le continent africain qui s’exprime de manière engagée et tranchée sur le sujet de la dépigmentation par exemple et ça pour moi, c’est un problème. Ce sont des gens suivis par des milliers de jeunes filles et il n’y a personne d’assez engagé pour éduquer les populations. En France par exemple, les influençeuses noires ont eu un impact sur l’écosystème de la beauté en France. Elles prennent position et font des propositions, ce qui conduit les marques à agir. 

Parlons du rapport que Setalmaa a sorti sur la beauté en Afrique et qui a été très médiatisé. Quelle a été votre méthodologie ? 

Nous sommes d’abord partis des données de notre groupe Whatsapp. Ensuite mon équipe et moi avons mené des interviews en présentiel et à distance par téléphone, en interrogeant un panel de personnes dans toute l’Afrique francophone, dans les marchés de Sandaga à Dakar, dans la banlieue de Pikine et Guédiawaye, etc. Nous avions un questionnaire précis pour deux types de cible : les acteurs du domaine et les consommateurs. Nous avons interrogé 1104 personnes au total sur une période de douze mois. Cela nous a permis de définir les besoins des consommateurs, les défis rencontrés et les opportunités de marché. 

C’est cette compilation que nous avons faite dans le rapport où chaque secteur beauté fait l’objet d’un chapitre. C’est un état des lieux. Nous le proposons à la vente à 149 euros sur notre site web. Certains étaient surpris que le rapport soit payant, mais nous y avons consacré beaucoup de temps et d’énergie et des ressources, il est normal d’y mettre un prix. 

Nous pensions d’ailleurs que seuls les occidentaux, qui ont une culture des données, allaient l’acheter mais on s’est trompé, la majorité des acheteurs du rapport vient d’Afrique.

Combien d’employés disposez-vous et sur quoi travaillez-vous maintenant que le rapport est publié ?

Mon équipe est composée de dix personnes, moi y compris. Nous sommes répartis entre Dakar, Cotonou et Abidjan. Moi je fais la navette. 

Grâce à nos travaux, on a développé un réseau de marques tellement fort que celles-ci viennent nous contacter directement pour gérer leur communication digitale. Nous travaillons donc actuellement au lancement de notre agence digitale, prévue pour janvier 2022. Notre positionnement est sur la création de contenus originaux. 

On propose aussi des consultings dans lesquels on accompagne nos clients à trouver des distributeurs locaux. 

Avez-vous rencontré des difficultés pour recruter dans ce secteur étant donné sa perception en Afrique ? 

Les premières personnes que j’ai eu à recruter étaient en France, c’étaient des rédacteurs web professionnels que je payais avec mon salaire d’ingénieur. Ils avaient l’habitude, c’était facile à gérer. 

En Afrique de l’ouest, j’ai eu plus de difficultés. J’ai dû recruter plusieurs personnes avant de tomber sur les bonnes. Je ne  sais pas comment en parler sans paraître dure mais c’était très difficile de trouver des personnes compétentes et qui répondaient à mon niveau d’exigence. 

 

 

Soit je trouvais quelqu’un de très compétent mais qui humainement parlant, avait des problèmes de communication. Soit je trouvais des personnes adorables, agréables mais qui n’étaient pas faites pour le job.

Or, j’ai une start-up à faire marcher et j’ai besoin d’être entourée de personnes qui maîtrisent le sujet. Je me suis donc faite accompagner par un cabinet de recrutement il y a deux mois. Mon équipe actuelle me satisfait.

Pour finir, quels sont vos projets futurs ?

Actuellement, en plus de l’ouverture physique de l’agence digitale, nous travaillons à la refonte de la plateforme

Nous comptons également recommencer l’organisation des forums de rencontre. Nous avons déjà organisé deux éditions. On est dans un domaine où les acteurs de l’écosystème ne se parlent pas. Les forums sont l’occasion de mettre en relation les marques, les consommateurs, mais aussi les pouvoirs publics, les investisseurs, les influençeurs, etc. C’est cela qui va permettre la création d’une vraie industrie. Nous nous sommes fixés comme objectif de créer un rapport tous les deux ans au moins. Il est indispensable que les Africains prennent leur place sur ce marché au risque que les Occidentaux, les Asiatiques le fassent à notre place.